Relations auteur-personnages de roman
Dialogue avec les personnages de Jamais très loin des cyprès
Mon premier roman. Un vieux rêve de l’adolescence que je ne suis plus depuis bien longtemps. Le voilà. Enfin. Il a pris vie. Je le tiens dans mes mains. En papier noir sur blanc et couverture couleur. Et pourtant je me sens vide. C’est comme un baby blues. Le book blues est-il un mal reconnu par le corps littéraire ? Parce que vous, mes personnages, devez maintenant vivre à jamais gravés sur 350 pages, mais sans moi. Et vous me manquez déjà.
Parce que, pendant 2 ans, vous avez partagé mon lit, ma salle de bain, ma cuisine… Et pas seulement. À nous tous, nous avons omis de sortir à l’arrêt de bus, failli mettre le feu à la maison, rêvassé pendant les heures de boulot, imposé le silence autour de nous, l’inspiration quand elle arrive, il faut la suivre. J’en oublie, et des meilleurs.
J’ai vu naître certains d’entre vous. Puis, vous avez grandi. En même temps que mon écriture. Vous êtes présents du début à la fin et sans vous, ce roman n’existerait pas.
Il y a ceux et celles qui ont pris plus d’importance qu’initialement prévu. Comme si vous me dictiez vos mots. Vous preniez forme sous mes yeux étonnés, guidant mes doigts sur le clavier.
Il y a, toi, le méchant, que j’aime aussi, parce que je me suis bien amusée avec ton nom et ton prénom.
Chacun de vous est un protagoniste d’une grande famille romanesque et mérite sa place au fil des paragraphes.
Pour créer l’illusion d’une histoire vraie, j’ai effectué beaucoup de recherches. Selon la formule consacrée : « ceci est une fiction, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est un pur hasard. » Mais les lieux où se déroulent les faits sont bien réels. La chronologie et les événements « historiques » aussi. Il a bien fallu vérifier les informations, les croiser et les confronter – c’est mon métier et j’adore ça. Alors merci, Jo, Ben, Tom. Merci à vos amis et familles de m’avoir permis de vous mettre en scène dans une partie du monde que je n’ai toujours pas eu l’occasion de visiter. C’est un autre rêve, encore plus ancien que celui de devenir auteure.
La quête de renseignements, d’images et de faits concrets a été aussi passionnante que la rédaction.
Tout au long du processus de création, j’ai eu l’impression de vous trahir à plusieurs reprises.
La première fois, lorsque j’ai dû retirer les paroles des chansons que vous fredonniez. À cause d’un droit d’auteur strict en la matière. J’ai épluché les pages juridiques pour trouver une brèche. Je n’ai pas pu me faufiler, alors je me suis résignée. Oui, je sais, il y a peu de chance que nous devenions célèbres et que l’industrie du disque nous attente un procès, mais inutile de prendre des risques. Heureusement, vous avez parfaitement le droit de mentionner les titres et les interprètes de vos morceaux préférés, n’hésitez pas à vous en donner à chœur joie (non, ce n’est pas une faute de frappe, c’est un jeu de mots). Et moi, j’écoute en boucle votre playlist. Il n’y a pas de loi contre ça.
Puis une seconde fois, après les commentaires de ma relectrice. « Je te promets que je ne t’en veux pas, Alex. Je ne suis pas fâchée. Mais j’ai passé une nuit blanche ».
Des remarques et des suggestions constructives qui me permettront d’avancer. Cependant, j’ai à nouveau l’impression de ne pas avoir rendu justice à l’histoire que je voulais conter.
Personnages de fiction qui paraissez de plus en plus réels dans ma tête, j’ai quelques mots à vous dire. Il va falloir qu’on s’explique.
Par exemple, Benjamin. À nous deux ! Franchement, Ben, tu ne peux pas être inconsistant. Même si ce n’est qu’au début de ton existence. Tu es un personnage clé de l’histoire, alors tu dois être à la hauteur. Dis-moi ce que tu as dans le ventre et je le traduirai en phrases efficaces.
Vous aussi, les secondaires. Oh, que je n’aime pas ce terme. Pourtant vocabulaire professionnel oblige, telle est votre dénomination. Vous êtes nombreux et de fait difficilement mémorables. Alors, allons-y. Aidez-moi à brosser vos portraits. Dévoilez-moi vos traits de caractère.
Quant au déroulement de l’histoire, il y a quelques comportements peu crédibles. OK, au temps pour moi. Mais il est nécessaire de changer ces mauvaises attitudes. On réfléchit et l’on s’y colle ensemble.
Je dois avouer que ces corrections et ces mises au point m’ont permis de repousser l’instant où nous devrions nous séparer. J’ai pris mon temps, j’ai procrastiné. Je vous ai lus et relus. Je vous ai même emmenés en vacances.
Mais, il fallait s’y attendre, le mot fin m’a rattrapée. Dans un déchirement, j’ai accouché de 350 pages remplies d’hommes et de femmes qui sont comme des amis. Oui, parce que vous étiez en moi et que même si vous avez glissé doucement entre les lignes, vous coulez encore un peu dans mes veines.
Pendant deux ans, j’ai seriné à qui voulait bien m’écouter que je n’écrivais pas pour la gloire, mais qu’il s’agissait d’un besoin viscéral. Et puis, un jour, je le tiens dans les mains pour la première fois, ce roman qui raconte votre histoire. Et un nouveau rêve se forme. Si seulement, maintenant, vous pouviez vivre à travers d’autres yeux et toucher d’autres cœurs. Peut-être que le sentiment de vide se comblera.